22.4.06

A qui profite la mondialisation ?

Le plombier polonais, l’acier indien, le textile chinois et maintenant l’électricité italienne ! Nous sommes envahis. Que fait le gouvernement ? Comme des pompiers au feu : Chirac file en Inde pour bloquer l’OPA de Mittal sur Arcelor. George W Bush le talonne pour vendre à ces mêmes Indiens, des centrales nucléaires américaines plutôt que françaises. Tout juste rentré en France, Chirac, infatigable, tente de s’opposer à la prise de contrôle de Suez par un concurrent italien.
Hélas ! La même semaine, on apprend que deux millions de Français sont partis travailler à l’étranger dont cinq cents milles à Londres, ce haut lieu du libéralisme sauvage. Se fera-t-on une raison ? L’économie n’a plus de frontières, pas plus de nationalité : les actionnaires de Suez sont loin d’êtres tous français, tous les salariés d’Arcelor ne le sont pas, tandis que le président de Sony est anglais et celui de Renault, Libano brésilien.
Qui s’en effraie et pourquoi ? Des Tartuffes.

Derrière les grands principes patriotiques, on lit les intérêts personnels : le président d’Arcelor craint pour son fauteuil, celui de Suez idem. Chirac ? Il voit se réduire son influence, son fonds de commerce politique et son réseau d’influence. Quid des salariés ? Les activités ne s’envoleront pas parce que l’actionnariat change ; mais elles devront évoluer. Ce qui n’est pas neuf ; ce fut même , dans un passé récent, plus brutal. En 1960, - qui s’en souvient ? -un quart des Français étaient agriculteurs, 1% le sont restés : c’est ainsi que nous nous enrichissons, tous, et que nous vivons mieux.
La mondialisation provoque une nouvelle métamorphose : elle sera aussi spectaculaire que le fut l’exode rural.
Faut-il pleurer sur le vieux monde? À Paris, c’est de bon ton: la mondialisation serait sauvage . Sauvage comme la doctrine libérale ! Vous savez, ces horribles libéraux (ultras, forcément) qui justifient l’invasion cosmopolite, encensent l’économie de marché et la démocratie.
Pourrait-on arbitrer sereinement , sans les gros mots qui fâchent , entre ceux qui aiment et ceux qui n’aiment pas la mondialisation libérale ? Saurait-on introduire des critères de jugement à peu prés objectifs ?
J’en propose deux. Entre Gandhi et Friedmann.

Le premier de mes critères est emprunté au mahatma Gandhi : il estimait que le progrès devait être mesuré à l’aune de la plus pauvre des Indiennes.

L’autre mesure nous vient de Milton Friedmann (impossible d’être plus éloigné de Gandhi) ; lui estime que le progrès c’est la liberté des choix (freedom of choice) . Selon Friedmann , une société progresse quand les individus disposent d’un plus grand nombre d’options au cours de leur vie. ( Friedmann prétend que le bonheur serait conditionné par la liberté des choix mais là, je ne suis pas).
Équipé avec ces deux règles , peut-on mesurer la mondialisation ? Au niveau de chaque individu (le PDG d’Arcelor sera moins heureux) , non ; mais au niveau d’une société, oui.
La mondialisation libérale accroît bien les choix et le niveau de vie de la plus pauvre des Indiennes : 8 % de croissance par an, grâce aux échanges internationaux, ça finit par avoir des conséquences positives jusqu’au plus modeste des hameaux. La pauvre Indienne vivra plus longtemps, ne verra pas mourir ses enfants en bas âge, ne sera plus nécessairement confinée dans le village de ses parents.
Pour un citoyen de France ou de Suisse, la mondialisation accroît –elle aussi la liberté des choix ? Ou elle y contraint : la mondialisation profite aux nomades - réels ou virtuels- plutôt qu’aux sédentaires.
Nous parvenons là à l’essentiel : le cœur nomade aime le libéralisme, les sédentaires préfèrent le nationalisme. Mais l’affaire est jouée : nous avons changé de civilisation, la mondialisation est là. On peut y résister, on ne peut y échapper. Les libéraux ont historiquement gagné : ça énerve.

Guy Sorman (extrait de son blog)

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